Depuis la victoire en demi-teinte de Lula aux dernières élections présidentielles, la contestation persiste dans le pays. (nous avions prédit déjà une victoire difficile de Lula dans notre article à lire ici)
En effet, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans tout le pays mais principalement dans la capitale du pays Brasilia.
Fin de la confiance dans les autorités civiles et un message envoyé aux armées du pays.
Depuis quelques jours, les brésiliens décident de se regrouper et manifester devant les casernes des armées.
Selon nos informations, les médias nationaux comme les médias internationaux, passent sous silence ces manifestations qui regroupent des dizaines voire des centaines de milliers de personnes dans tout le pays, ne donnant ainsi que peu, voir aucune visibilité à cette grogne qui monte de plus en plus, c’est la face visible de la défiance voire de la méfiance envers les autorités du pays qui est mis en exergue.
Rassemblement devant le Quartier Général de l'Armée de Terre à Brasilia
Le déclencheur serait l’impossibilité de contrôler le résultat des élections puisque les urnes électroniques en utilisation dans le pays ne donnent aucun moyen de contrôler, a posteriori, le résultat des élections. Cet état de fait amplifie la méfiance envers les autorités nationales, notamment envers le Supremo Tribunal Federal (Equivalent du Conseil constitutionnel en France), qui a refusé le contrôle des principaux éléments des urnes électroniques, notamment le code source, par les autorités militaires qui ont fait expressément la demande. Cependant, l’exemple du STF et du Conseil constitutionnel n’est pas le meilleur puisque le STF a un pouvoir autrement plus important que celui du Conseil constitutionnel, qui lui, se borne à contrôler la constitutionnalité des lois. En France, il s’agit de l’autorité judiciaire et non du pouvoir judiciaire comme au Brésil.
Les raisons de cette révolte pacifique sont nombreuses et les griefs envers les autorités nationales multiples. L’un des principaux éléments déclencheurs, avant même le début des élections présidentielles, c’est la libération de Lula par les juges du STF.
Pour bien comprendre, premièrement, la décision qui a annulé les condamnations de Lula et a permis de le libérer, est motivée uniquement par la procédure et non pas à cause des faits. La motivation des juges est basée uniquement sur la compétence territoriale des jugements antérieurs, ce qui a eu tendance à agacer fortement les opposants de Lula. Cela revient à dire qu’il est coupable mais il a été jugé par le « mauvais » juge.
En outre, des 11 juges que compte le STF, 8 ont voté pour l’annulation des condamnations et 3 contre. Cependant, des 11 juges qui ont voté, 8 ont été nommés, soit directement par Lula lui-même, soit par Dilma (ancienne présidente du Brésil et alliée inconditionnelle de l’ancien président Lula) ou alors par les alliés du parti de l’ancien président Lula. Sans surprise, ceux qui ont voté contre, 2 juges, ont été nommés par Bolsonaro et 1 par un autre ancien président Fernando Henrique Cardoso.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est effectivement le refus catégorique du pouvoir civil et judiciaire que les urnes électroniques puissent imprimer les votes pour un contrôle a posteriori en cas de suspicion de fraude lors des élections, permettant ainsi un contrôle des votes. Les suspicions de fraude lors des dernières élections n’ont pas arrangé les choses et une demande légitime s’est transformée en revendication.
Photo Supremo Tribunal Federal
Des groupes indigènes font également partie des manifestations contre l'élection de Lula
Même si les manifestations restent pacifiques et qu'aucun incident n'est à déplorer, sur place, la situation est tendue, les routiers, qui sont le principal moyen de transport des marchandises du pays, s’arrêtent au fur et à mesure que la grogne monte, les déclarations de Lula ces derniers temps ne font rien pour que la situation s’améliore. C’est même tout le contraire. Il attise les opposants pour les pousser à la faute avec des discours pour le moins équivoques quant à sa volonté de rassembler le pays ainsi que l’humiliation qu'a subi l’armée lors du refus partiel, par les autorités civiles et judiciaires, autorisant l'armée à exercer un contrôle sur les urnes électroniques.
Bolsonaro garde le silence, surement à cause de l’exemple de Trump aux EUA qui a appelé les américains à manifester avec le résultat que nous connaissons.
Selon moi, l’essentiel réside dans la concentration de pouvoir donnée au STF qui ne subit aucun contrôle et qui ne permet aucune critique envers ses décisions. C’est une Institution dans l’Institution, un organe archaïque, sclérosé et ostracisé qui permet, voir qui autorise, le gouvernement des juges.
Des juges qui n’ont aucune légitimité puisqu’ils ne sont élus par personne. Aucune légitimité, ni politique ni morale, pour prendre des décisions concernant les autres Institutions ou des crimes politiques puisqu’ils sont nommés par ceux-là même qu'ils ont la charge de juger, c’est pour le moins incompatible. Le pouvoir de contrôle de légalité des juges du STF s’est transformé en un pouvoir de gouvernement, gouvernement des autres pouvoirs qui se voient impuissants face à cette Institution qu'est le STF (ou alors c'est à dessein qu'ils laissent les mains libres au STF ?).
Cette Institution archaïque est de plus en plus envahie par le cancer nombriliste qui ne veut/peut subir aucune critique. Pour défendre leurs pouvoirs, les juges (appelés ministres) du STF conservent leur « autorité » à coups d’amendes et de procès envers quiconque ose émettre des doutes ou des soupçons envers cette Institution. Une Institution qui ne peut subir ni critique ni contrôle, n’est pas un pouvoir ou une autorité, c’est juste un instrument utilisé par certains pour garder un pouvoir dont ils se sont accaparés par des voies légales et qu’ils détournent à leur guise, faisant fi de l’intérêt collectif et de la population.
Il n’est donc guère étonnant que la population se tourne vers l’armée pour résoudre ce problème insoluble qu’est devenue l’affaire Lula puisque la grande majorité de la population brésilienne a perdu le peu de confiance qu’elle avait dans les autorités civiles.
Les autorités civiles et judiciaires font la sourde oreille aux demandes légitimes de la population civile, pour les opposants à Lula il ne reste donc que l’armée avant qu’une révolution n'éclate.
Les manifestants campent sur place et manifestent jusqu'à tard dans la nuit.
Pour ma part, il me semble prématuré de croire que cette grogne se transforme en révolte qui nécessitera l’intervention de l’armée. Cependant, exclure cette possibilité serait une erreur.
En effet, si les chefs de l’armée sentent qu’ils peuvent compter sur l’appui sans faille de la majeur partie de la population, il n’est pas à exclure que certains généraux soient tentés par l’aventure du pouvoir. Cependant, quelles sont les garanties qu’ils organiseront d’autres élections, une fois au pouvoir ? Même si nous ne sommes plus en 1964, lors de la prise du pouvoir par les militaires (coup d’Etat pour certains, révolution pour d’autres), certains points semblent converger, à la différence que, cette fois-ci, l’armée aura un soutien massif de la population civile contrairement à 1964.
Sans aucune réforme du système politique et du pouvoir judiciaire actuel, notamment du STF, la situation risque fortement de perdurer avec une défiance croissante de la population envers les Institutions et les autorités civiles.
En outre, si certains manifestants pro Lula changent de camp en fonction des ses actes ou ses déclarations, l’armée pourrait se sentir légitime à intervenir. Mais si l’histoire se répète, une prise de pouvoir, qui devrait durer quelques mois, a duré près de 30 ans.
« Le Brésil est un pays trop chaud où la nature mangera un jour les fragiles décors surélevés dont l'homme essaie de s'entourer. Les termites vont dévorer les gratte-ciel, tôt ou tard, les lianes vierges bloqueront les autres et la vérité du Brésil éclatera enfin. »
Albert Camus
15/11/2022
Article : René Richard Verona
Photos : Arnaldo Ardiano de Oliveira
Drone : Getulio Romão